Hoon Moreau,
Sculpter le temps, designer les rêves
On entre dans son univers comme dans une forêt ou dans un conte enchanté. Le nœud de l'arbre est devenu la matrice autour de laquelle s'ordonne la forme d'une majestueuse commode ; les champignons que l'on aurait pu trouver à son pied ont été transformés en délicates tables basses ; les ailes du papillon qui annoncent, par leurs battements colorés le retour du printemps, en paires de paravents enchanteurs. Puissantes et fragiles à la fois, fruits d'une délicatesse et d'une patience infinies, les formes auxquelles Hoon Moreau a donné vie suspendent l'espace et nous plongent dansdans L'Oeil du temps du 2 mai au 2 juin à la galerie Boa.
La fente observée en forêt sur le tronc d'un chêne magistral, a donné à l'artiste l'idée de ce buffet que l'on aurait pu trouver à ses côtés. D'une roche volcanique découpée par de la lave en fusion, elle a tiré un cabinet aux poignées comme in extremis sorties du feu. De la vue panoramique d'une chaîne de montagnes escarpées, une armoire dont les reliefs en bronze doré retranscrivent la majestueuse tranquillité...
C'est la nature même que Hoon Moreau fait rentrer dans les intérieurs. Les formes organiques qu'elle compose et recompose sont taillées et dictées par la magie de la nature. Sur les surfaces qu'elle moule, qu'elle creuse ou qu'elle superpose, l'artiste met en scène son charme muet.
Non plus maître ou possesseur de la nature, Hoon Moreau est dans son atelier comme Alice au Pays des Merveilles. Cette citadine qui a toujours vécu et travaillé à la ville la redécouvre sans cesse de son œil en perpétuel émerveillement. À partir de balades ou de photographies, elle l'observe et l'écoute, se laisse happer par la mystérieuse fascination contenue dans ses formes insolites et dont elle se fait à la fois le témoin et le porte-parole.
C'est la Griffe du temps qu'elle enregistre et qu'elle recrée, la nature qu'elle ressuscite en atelier. Trace du temps qui passe en imprimant sur le bois ses cicatrices, la faille venue craqueler tel tronc d'arbre centenaire trouve ainsi une seconde vie entre ses mains. Ni cachée, ni rabotée, pour avoir pu gâter un pan de bois auparavant lisse et uniforme, elle est ici travaillée, sublimée, et guide le regard d'un bord à l'autre de cette sculpture dont on oublierait presque que ce sont nos couverts qu'elle appelle à contenir.
Car Hoon Moreau refuse de choisir entre sculpture et objet d'art. Ses œuvres sont faites pour être touchées, utilisées, autant que pour susciter cet émerveillement béat qui inspire chacun de ses gestes.
Diplômée des Beaux-arts de l’université de Séoul avant d'intégrer l'école parisienne Camondo et de se lancer dans l'architecture d'intérieur, ce n'est que récemment que cette quinquagénaire a décidé de se dédier exclusivement à l'art. Architecte d'intérieur pendant une vingtaine d'années notamment chez Wilmotte & Associés, le projet qu'elle concrétise enfin aujourd'hui n'a eu pourtant de cesse de la suivre et de croître au fil des années. Dans les carnets de croquis qui l'accompagnèrent au cours de sa première carrière, elle a dessiné le répertoire dans lequel elle puise désormais pour faire naître ses meubles surnaturels.
Sa reconversion sonne comme une libération. Du dessin à la réalisation finale, ses oeuvres lui coûtent de longs mois de patience. Hoon Moreau se dit pourtant « extrêmement heureuse de pouvoir travailler à la main, de concevoir et de fabriquer [elle-même] » les pièces qu'elle taille dans la matière même de ses rêves et de sa liberté nouvelle.
Dans sa reconversion, semble avoir commencé pour Hoon Moreau ce que Nerval, avant elle, appelait « l'épanchement du rêve dans la vie réelle ». C'est la frontière, si mince, entre les deux mondes, que le trait de l'artiste abolit dans chacun de ses dessins, dans chacune de ses œuvres. Celle que déjà la nature fait vaciller lorsqu’elle fait tenir une roche colossale en équilibre sur sa pointe, ou lorsque le vent creuse la pierre apparemment si solide pour faire apparaître ces majestueux paysages de Dolomites sur lesquels Hoon Moreau s'est à son tour penchée depuis peu.
L'artiste imite les tours de force de la nature en recréant cet équilibre, apparemment si précaire, du plan de table suspendu sur la pointe d'un socle extraordinaire, dont la force semble toute fragile et apparemment – apparemment seulement ! – si précaire. Hoon Moreau est une équilibriste sensible qui fait tenir ensemble ce qui, sans elle, manquerait de se fendre. Elle est une rêveuse ingénieuse, qui explique vouloir « traduire en meuble » les merveilleuses prouesses de la nature.
Les fentes qu'elle dessine et fait sillonner sur les surfaces de ses Tables enchantées, les Fils d'ombres avec lesquels elle troue et sublime ses paravents, sont autant d'incursions de ce rêve, si naturel et si magique à la fois, dans la réalité qu'elle observe lorsqu'elle pose les yeux sur la nature. Les rainures du bois qu'elle creuse profondément dans les courbes et contre-courbes de ses objets rêvés, l'encre de Chine qu'elle tamponne dessus pour faire miroiter la lumière et apparaître des dégradés nébuleux sont autant de tentatives de matérialiser le rêve, de rêver la matière.
/// Horya Makhlouf